a) Présentation générale
Chaque année apportant sa pierre à l’empilement des taxes sectorielles dans le secteur pharmaceutique, la LFSS 2023 ne pouvait échapper à une tradition désormais bien installée puisqu’elle vient d’aborder le deuxième quart de siècle, selon moi, la troisième décennie selon la commission des affaires sociales de l’Assemblée. Validé sans réserve par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2022-845 DC du 20 décembre 2022, alors pourtant que le LEEM dénonce un impôt confiscatoire, l’article 18 de la loi n° 2022-1616 de financement de la sécurité sociale pour 2023, entrée en vigueur le 25 décembre 2022, innove principalement par la mise en place de nouvelles règles de calcul de la contribution individuelle à la clause de sauvegarde, jusqu’alors définie exclusivement par référence au chiffre d’affaires remboursable réalisé par le redevable et désormais définie par un double critère, à savoir ce chiffre d’affaires pour 70 %, au lieu donc de 100 %, et la progression de ce chiffre à raison de 30 %.
Ne boudons cependant pas notre plaisir ! En effet, pour la première fois depuis 1997, l’article 18 de la loi n’est ni un copier/coller du projet gouvernemental ni le copier/coller d’un amendement gouvernemental déposé plus ou moins subrepticement. Avec le soutien de la commission des affaires sociales, exit donc l’article 29 du projet de loi qui proposait ni plus ni moins de redonner vie aux articles législatifs créés pour la mise en place de la clause de sauvegarde propre aux médicaments destinés au traitement de l’hépatite C et créer une clause propre aux médicaments à forte croissance. Si donc la LFSS pour 2023 n’échappe pas à la technique usuelle du coup de rabot, la réflexion se fait grandissante sur l’efficacité et la légitimité de cette méthode de gouvernement en tant qu’instrument de régulation macro-économique. Désormais l’attente est grande à l’égard du rapport que le Gouvernement devrait remettre pour le 1er juillet et qui devrait faire un état des lieux de cet instrument de régulation. Le juriste quant à lui ne peut d’ores et déjà que se féliciter que l’on s’interroge sur le bien-fondé d’une technique d’imposition héritée de l’Ancien Régime, l’impôt de répartition et les fermiers-généraux chargés de sa mise en œuvre, technique d’imposition qui, sauf erreur, n’a aucun autre exemple dans notre pays.
Le plaisir de la loi est donc dans ce qu’elle ne dit pas. Mais alors que dit-elle ?
La novation concernant l’assiette de la contribution individuelle s’accompagne de quelques autres, plus secondaires. Ainsi, la liste des médicaments pris en compte dans l’assiette de la taxe est élargie aux médicaments inscrits sur la liste en sus de l’article L 162-23-6, ainsi qu’aux médicaments acquis par l’Agence nationale de santé publique. Selon l’exposé des motifs de l’article 29 du projet de loi, il s’agit, par cette « extension de gamme », d’assurer la « mise en cohérence de l’assiette de la contribution afin d’y inclure l‘ensemble des dépenses maladie liées aux médicaments ». Dans ces conditions, pourquoi ne pas remplacer cette liste à la Prévert des médicaments pris en compte par le montant des dépenses remboursées, comme cela est d’ailleurs le cas pour la clause de sauvegarde applicable aux dispositifs médicaux. Cette solution aurait par ailleurs pour immense avantage d’éviter des débats abscons sur le chiffre d’affaires à prendre en compte et d’éviter certaines injustices, comme notamment dans le cas des ventes aux grossistes-exportateurs, imposables quoique n’affectant pas la dépense publique. Pour le Conseil constitutionnel, faire entrer les produits achetés par l’Agence de santé publique dans l’assiette de la contribution est légitime à partir du moment où ces acquisitions correspondent à un objectif de santé publique, « assurer la protection de la population face aux menaces sanitaires graves et (…) répondre à des besoins de santé publique, thérapeutiques ou diagnostiques, non couverts par ailleurs », la circonstance que le montant de la dépense correspondante ne soit pas connue étant sans influence.
Ces deux extensions de périmètre, reprises donc de l’article 29 du projet gouvernemental, s’appliqueront pour la première fois à la contribution due en 2024 et donc au chiffre d’affaires de référence réalisé en 2023.
b) Un nouveau mode de calcul de la contribution individuelle
Jusqu’à présent, la contribution individuelle due par chaque redevable est déterminée par la part de son chiffre d’affaires dans le total du chiffre d’affaires pris en compte pour l’ensemble de la profession, dans la limite d’un plafond de 10 %, par application de l’article L 138-12.
Avec la LFSS pour 2023, la part du chiffre d’affaires individuel de l’année N -1 pris En compte pour la détermination du montant de la contribution individuelle dû au titre de l’année N passe de 100 % à 70 %. La part restante, soit 30 %, est déterminée par référence à la progression du chiffre d’affaires de l’entreprise redevable de N-2 à N-1. Cette disposition nouvelle qui devrait bientôt condamner le Comité à travailler à la chandelle, résonne en réalité comme un écho lointain à la proposition gouvernementale initiale dont l’objectif était notamment de tenir compte de la croissance du chiffre d’affaires annuel dans la détermination du montant de la contribution individuelle.
Les conditions d’exonération par voie de convention conclue avec le CEPS telles que fixées par l’article L 138-13 demeurent inchangées. Pour mémoire, sont concernées les entreprises conventionnées avant le 31 janvier. La convention doit couvrir au moins 90 % du chiffre d’affaires remboursable. Elle doit être en cours de validité au 31 décembre et être conforme à une convention-type définie par accord cadre. La convention vaut exonération de la clause de sauvegarde si elle prévoit des remises pour au moins 95 % de son montant. Ce taux peut être abaissé jusqu’ à 80 % lorsque la convention prévoit des baisses de prix qui viennent se substituer ou compléter les remises.
c) L’électronique ne signifie par elle-même la fin de la paperasse
Cette révision des règles d’assiette de la contribution individuelle s’accompagne d’une redéfinition et d’une complexification de la déclaration de chiffre d’affaires et de son traitement administratif en vue de déterminer le montant de contribution individuelle résultant de cette déclaration. Selon l’exposé des motifs de l’article 29 du projet de loi, ce jeu de ball-trap entre les URSSAF, l’ACOSS et le CEPS a pour objet « d’adapter la procédure de recouvrement, de clarifier les dates et modalités des échanges d’informations en cas d’anomalie et de décaler la date de paiement des sommes éventuellement dues ». Même si l’on ne peut nier que les retards et insuffisances de déclaration occasionnent un surcroît de travail administratif non négligeable dans le cas d’un impôt de répartition, on ne peut non plus nier que, a priori, le prix à payer pour bénéficier d’un report de trésorerie de 4 mois est particulièrement lourd. Repris du projet de loi gouvernemental, le nouveau calendrier se présente en effet comme suit.
La déclaration de chiffre d’affaires de l’année N-1 doit être faite auprès de l’URSSAF territorialement compétente, à qui le CEPS transmet, via l’ACOSS, le montant des remises, pour le 1er avril de l’année N. Elle est transmise au CEPS par l’ACOSS pour rectifications éventuelles. Celles-ci sont notifiées à l’URSSAF et à l’ACOSS en même temps que le montant des remises pour le 15 juillet. Ces propositions de rectification demandées par le Comité sont soumises à l’entreprise qui dispose d’un délai de 15 jours pour s’exécuter. Le montant de la contribution individuelle est notifié pour le 1er octobre et exigible le 1ER novembre de l’année N au lieu donc du 1er juillet.
Ce nouveau dispositif d’échange d’informations s’applique à la déclaration du 1er avril 2023.
Que se passe-t-il si ce calendrier n’est pas respecté ? Comme on le verra plus loin, tout est prévu, à condition que ce retard soit le fait des entreprises !
d) Un mécanisme de majorations de retard inhabituel
Un mécanisme de majorations de retard est mis en place en cas d’absence de déclaration, de déclaration tardive ou de non-respect du délai de rectification de 15 jours. Mais alors que les majorations pour déclaration tardive ou défaut de déclaration sont habituellement des majorations ou des pénalités forfaitaires, les majorations prévues ici reposent sur un système complexe qui dépend du chiffre d’affaires à déclarer, avec un plancher fixé à 2000 euros et un plafond fixé à 100000 euros, « usine à gaz » destinée probablement à tenir compte e ce que l’impôt en cause est un impôt de répartition. La majoration est fixée par l’URSSAF, mais rien n’est dit ni sur la procédure ni sur les voies de recours. Les règles applicables en cas de contentieux se déduisent de la modification apportée à l’article L 138-20 qui est étendu aux majorations. L’entreprise défaillante est donc sanctionnée, mais rien n’est dit sur la portée d’un retard de déclaration d’un redevable sur les autres redevables pour qui la défaillance de l’entreprise incriminée peut avoir des conséquences positives ou négatives. On le regrettera d’autant plus que l’attention des pouvoirs publics a pourtant été attirée sur ces questions, tant par la décision de la Cour de cassation qui a validé le principe d’une déclaration rectificative que par les décisions de la juridiction administrative ordonnant la restitution de la contribution 2020.
Ces dispositions s’appliquent depuis le 25 décembre 2022 et donc notamment à la déclaration du 1er avril 2023.
e) L’entrée en vigueur des règles de fond est tout sauf simple
Contrairement à la pratique habituelle qui admet en matière fiscale la « petite rétroactivité », c’est-à-dire la possibilité, pour la détermination du montant de l’impôt à devoir au titre de l’année N, de tenir compte des revenus perçus antérieurement à la date d’entrée en vigueur, en cours d’année, de la loi nouvelle, le plus souvent du 1Er janvier de l’année N jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle, les dispositions nouvelles de l’article 18 de la loi relatives au fond ne s’appliquent pas au chiffre d’affaires 2022, de sorte que celui-ci, qui s’applique à la déclaration et à la contribution 2023, est déterminé par référence à la loi ancienne, en application du V de l’article 18 de la loi. L’absence de « petite rétroactivité » dont on se félicitera ne vaut toutefois pas pour la détermination du plafond de 10 %, arrêté, si l’on comprend bien le VI de l’article 18 de la loi, par référence à l’article L 138-11 dans sa rédaction résultant de la loi nouvelle.
La loi nouvelle s’applique ainsi pleinement à la contribution 2024 due au titre de 2023 dont le chiffre d’affaires est déterminé par application de la loi nouvelle. Ainsi donc et sauf erreur d’interprétation, la progression du chiffre d’affaires sera prise en compte pour la contribution à devoir en 2024. Elle sera appréciée par comparaison entre le chiffre d’affaires 2022, apprécié selon la loi ancienne, et le chiffre de 2023, apprécié selon la loi nouvelle, mais ceci non plus n'a pas ému le Conseil constitutionnel.
Conséquence pratique : juridiquement, nous devrions être à l’abri d’une modification des règles applicables à la clause de sauvegarde dans le PLFSS 2024, mais on a vu précédemment que cette affirmation devait être nuancée, pour des raisons politiques. Dans l’immédiat, il reste à observer le déroulement de la procédure d’adoption du PLFSS rectificatif car comme l’a fort justement relevé l’une des notes de NILE, « la chambre d’enregistrement du 1er quinquennat n’est plus » !
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